Il ne se rappelle pas très bien son enfance, peut-être parce qu''elle n''a rien de marquant en soi. Populaire, entouré d''une famille qui semblait soudée, protégé de tout ce qui pourrait être qualifié d''horreur en ce bas-monde, James est un enfant heureux. Sa primaire, rien à en redire. Il a profité de sa jeunesse. Mais cette jeunesse se termine bien tôt, à 13 ans, lorsque son père met les voiles pour une raison inconnue, et que sa mère commence à boire pour oublier, à se droguer pour se perdre. \"Etre ou ne pas être\", ça s''applique bien ici, dans le cas de sa mère vide qui le garde près d''elle pour ne pas mourir de solitude...

\" Maman. Notre situation est des plus risibles. Tu es à une pièce de moi, ton fils, la chair de ta chair, et tu refuses toute négociation. Tu me rappelles Hermine, la mère de Louise, dans Les Trois Quarts du Temps, avec ta froidure et tes manies de chien blessé. Je sais, tu ne connais pas ce livre, tu ignores donc qui est Jean-Marie, et toutes mes références vont tomber à plat, mais je les écrirai quand même, car j''aime les références. Je me sens comme Jean-Marie, Maman, isolé ainsi car tu ne veux pas me partager. Est-ce pour ceci que Papa est parti, ou parce que tu es trop dominatrice ? Je me sens comme cet homme tuberculeux emprisonné au Sana et qui écrira de jolies phrases, notamment, \"Je vais mourir, la vie est belle\" à l''exception près que je ne possède pas de femme pour venir me rendre visite lors de mes agonies convulsives. Je souffre de ton amour, de cette protection maladive que tu m''offres, et tes propos lorsque tu n''es plus toi-même, l''esprit enfumé et inondé d''alcool, m''effraient plus que tout au monde. Au collège, on me trouve bizarre, différent, toujours plongé dans mon bouquin. Toujours ce même livre que tu détestes parce qu''il me fait réfléchir un peu trop, m''ouvre à l''humanité que j''y lis. Je désire pouvoir dire à la fille que j''aime qu''elle peut venir à la maison, pouvoir avoir des amis sans avoir à les éviter parce que tu ne les apprécies pas. Je ne suis plus un poussin, et tu le sais. Je n''ai plus besoin de ces câlins d''avant, qui sont si fades sans Papa, comme toi, sans ton sourire d''antan, car tu es triste à en mourir, névrosée, morose, ankylosée par la passé qui te consume... \" Extrait d''une lettre de James à ses 16 ans.

\" Maman, je regrette. Je pars vivre avec Papa, à Paris. Je suis entré au lycée, malgré ce que tu pouvais dire des études que tu jugeais inutiles et abrutissantes, et ce sera la dernière lettre envoyé depuis ma chambre jusque la tienne, qui est à dix mètres. Marre du Sana, je pars vivre vraiment, jouir d''une liberté naturelle dont tu me prives. Je ferai première audiovisuel à Paris. Comme dit Shakespeare, \"There is nothing either good or bad, but thinking makes it so\" peu importe ce que tu penses, je serai un littéraire, j''irai chercher dans le cinéma la \"substantifiue moëlle\" dont parle Rabelais pour les livres et oeuvres humaines. Papa est d''accord pour m''héberger jusqu''à ce que j''obtienne mon bac. Je me débrouillerai seul ensuite. J''ai toujours aimé jouer avec ma voix, imiter les autres, et l''audiovisuel m''inspire pour progresser dans ma voie. J''aime doubler les voix, et j''aimerai faire la voix d''un personnage dans un film d''animation. Tu ris, j''en suis sur, de mes ambitions, et si tu osais ouvrir la bouche, tu me traîterais de saltimbanque. Mais tu n''ouvriras pas la bouche. Lorsque tu liras cette lettre, je serai déjà parti. \"
Lettre de James à ses 17 ans



Il signa sans même lire les termes du contrat notoire. Il avait la tête ailleurs, dans le passé, ses yeux bleus perdus dans le vide, remplis d''images de ce qui était maintenant un spectre. Il hocha la tête, son costume de deuil, évidement noir, montrant qu''il revenait juste du dernier adieu qu''il ne fera jamais à son père. \" Quitte à dormir sur la bruyère... \"Il ne se lamenterait pas, surtout qu''il devait entrer en cinquième année au CFC Gaumont. Etudier, vivre pour réussir, il avait toujours fait ça, et sans son père, il savait que c''était l''unique moyen de rester mentalement équilibré. Il regarda le notaire, un vieil ami de son géniteur, et lui lança de but en blanc :


\" I used to rule the world...\"James perdait contenance. Il n''avait jamais vraiment réussi à s''intégrer depuis le collège avec les autres de son âge. Il était pourtant d''un naturel souriant, assez optimiste, sans doute un peu trop soumis. Son ennemie, sa timidité, ce manque de confiance en lui-même qui le bloquait devant une personne, aussi proche soit-elle. Heureusement, il savait parler avec les yeux, et ce côté distant en rajoutait une couche à son charme mystérieux. Les glaçons, c''est un style. On apprécie ou pas. James lisait continuellement de vieux livres reliés depuis la sixième, et n''en sortait jamais, sauf pour répondre aux demandes des autres. Chacun son style, lui était un Jean-Marie, un littéraire, un fondu de livres, mais avec une touche de fantaisie tout de même. Il adorait jouer avec sa voix. Imiter les personnalités importantes, les petits personnages de dessin-animé, tout ce qui lui tombait sous la main, tant qu''il pouvait s''évader de cette manière, en doublant une personne qui elle, à confiance en ses capacités. Il appréciait les films, mais pour des raisons atypiques, car il s''amuse à essayer de prendre les intonations des acteurs, à traduire ses passages favoris dans toutes les langues qu''il maîtrise, notamment l''Anglais et le Chinois. Sans son père, il se retrouvait vraiment seul, un peu perdu, et pour la première fois depuis son enfance, son sourire parut faux. Il sortit du bureau, rentra chez son père, maison dorénavant emplie seulement des souvenirs de la chaleur humaine et des bons moments entre hommes. Il ne lui restait plus que le CFC comme refuge pour vivre.

Naturellement Gentil, James l''est. Enfin, entre gentil et soumis, on considèrerait plus aisément la seconde possibilité. Il ne sait pas dire non. Demandez-lui de vous faire vos devoirs, il le fera avec un sourire sans se douter que vous l''exploitez. La protection de sa mère ne l''a jamais libéré de cette naïveté maladive, qui combinée à sa timidité, l''étiquette comme proie facile pour les perfides. Comme quoi, une qualité peut pourrir une vie, parfois...

Affreusement Timide, c''est sans aucun doute ce qui lui attire le plus d''ennuis. Ce manque de confiance en lui est généralement interprété comme de la fausse modestie, même s''il angoisse réellement avant chaque examen ou évènement qui le tient à coeur. Il n''est pas du genre à bégayer ou encore à rougir, mais sous cet air impassible ce cache une véritable pelote de nerfs emmêlés et monstrueusement sollicités.

Froid, c'est le premier mot qui nous vient à l'esprit lorsqu'on le voit plongé dans un livre. Etant timide, il n'ose parler aux autres et s'isole naturellement, de façon inconsciente. Par contre, si c'est l'autre qui fait le premier pas, il peut être très allant, il suffit de le motiver, de trouver un sujet qui plaît : Le cinéma ou la Littérature.

Le cinéma, ou la bouée de sauvetage de James. Sans le cinéma, il ne serait pas un garçon souriant et équilibré, c'est indéniable. Le cinéma a toujours été son refuge lorsqu'il n'était pas en cours ou plongé dans un bouquin.Que ce soient des films pour enfants en image de synthèse ou des chefs d'oeuvres tels La Liste de Schindler, James a vu, ou tout du moins, lu toutes les critiques qui lui passaient sous la main. Mordu d'imitation, il adore chercher l'inspiration pour ses doublures chez des acteurs méconnus (c'est plus drôle que chez les connus, voyons !) pour trouver une nouvelle façon de modifier sa voix ou une nouvelle expression du visage à afficher dans ses petits délires personnels. Le cinéma, autant le dire, c'est sa vie, depuis qu'il est au lycée. Inutile de dire que, de nature curieuse, il est prêt à apprendre de n'importe quel style de film, du mouvement de la nouvelle vague à l'animé de Miyazaki